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Emilien Adage, ou l’art du sabotage, par Alexandrine DHAINAUT
Lyon Capitale N°708 – Février 2012




La galerie Roger Tator présente jusqu’au 17 février « En attendant le dépannage », une exposition personnelle du jeune plasticien Emilien Adage, qui place au cœur de sa pratique l’expérimentation du sujet électricité et invente au passage une nouvelle pathologie : la persécution de l’ampoule !

Emilien Adage n’a pas attendu le dépanneur, ni l’intervention de la fée électricité pour éclairer sa lanterne. Son créneau artistique - le bidouillage électrique -, il l’a appris tout seul, se dispensant largement d’une formation nécessaire dans un domaine où la moindre erreur peut être fatale. En effet, l’artiste diplômé de l’Ecole supérieure d’art d’Annecy et basé à Lyon joue les apprentis électriciens et place au cœur de sa pratique l’expérimentation du sujet électricité.
Son vocabulaire graphique et plastique regorge donc de tout ce qui la matérialise : ampoules, néons, leds, dominos, prises, fils, fiches, piles, jusqu’aux manuels de bricolage qu’Adage collectionne depuis plusieurs années. Mais ses œuvres ne sont en aucun cas la démonstration d’un savoir-faire, même amateur. Elles sont la simple monstration d’expériences, absurdes et improbables, d’un réel plaisir à concocter des circuits alambiqués, à jouer avec les formes de ces matériaux, à saboter et déjouer les codes de représentation de l’électricité à des fins purement plastiques. Avant d’être fonctionnels ou envisagés comme tels, ses petits assemblages sont avant tout graphiques, sculpturaux et vidéographiques (un superbe montage vidéo de ses expériences est d’ailleurs projeté au sous-sol de la galerie). Il en résulte des pièces volontairement déceptives, soit parce qu’elles ne sont pas ou ne peuvent être activées (quoiqu’on n’en sache rien), soit parce qu’on a loupé la minute où elles l’ont été ! Car finalement, Emilien Adage lance moins des idées pratiques, viables, que des hypothèses de système ou qu’un fantasme d’électricité, laissant à ce phénomène son invisibilité et son immatérialité habituelles.

Contre productivité et déperdition

L’œuvre Batterie domestique, sculpture et prototype à la fois, rassemble quelques 154 piles LR6 de 1,5V, chacune reliée par un fil bleu à une prise électrique femelle. Ici, il nomadise un système portatif pour le moins encombrant, là il sédentarise une lampe de poche ou un casque audio qui ne peuvent fonctionner sans être branchés au secteur dans sa série de dessins Savoir bricoler chez soi. Puisées dans les illustrations des fameux manuels collectionnés et non sans rappeler l’imagination débridée d’un Jacques Carelman et son Catalogue d’objets introuvables, les hybridations et inventions graphiques d’Emilien Adage relèvent de l’illogisme et du contreproductif, un petit pied de nez au contexte écologique actuel qui voudrait conjuguer rendement maximal et économie d’énergie.
L’artiste imagine des non-sens fonctionnels mais présente aussi des pièces et des gestes anti-spectaculaires. Les Micropyrotechnies qu’il a récemment mises en scène derrière la vitrine de la galerie Roger Tator dans le cadre de la Fête des lumières ont fait pschitt plutôt que boum ! Ces mini feux d’artifices ont été crées à partir de centaines de diodes électroluminescentes qui explosaient sous l’effet d’un voltage excessif (une vidéo de cette performance est visible sur le blog de l’artiste). A l’image de cette installation, le travail d’Emilien Adage brille par une certaine vanité, un geste tout infantile de celui qui aime à faire péter encore et encore des petites ampoules qui ne lui ont pourtant rien fait, en leur délivrant - délicatement en plus ! - une tension trop forte, ou à filmer inlassablement la chute d’un néon et ses derniers soubresauts de vie une fois éclaté au sol. Ce doux terroriste qui « plastique », sabote et fait exploser à petite échelle, se place dans la droite lignée des dadaïstes par le décalage, l’humour et la dérision qu’il pratique. Il se situe également parmi ces artistes-saboteurs tels que Roman Signer et ses expériences explosives futiles et drôles ou Didier Faustino et ses anti-projets d’architecture. Mais le sabotage chez Adage s’exprime surtout par la perte constante d’énergie, à l’image de ce néon sectionné en trois placé au dessus de la série de dessins et qui n’éclaire pas grand-chose. C’est cette déperdition qui fait d’ailleurs tout l’intérêt de ces œuvres. « Il y a toujours une énergie excédentaire produite en pure perte qui traduit l’effervescence de la vie » écrivait Georges Bataille dans son essai La Part maudite. Une réflexion lumineuse qui sied parfaitement au travail d’Emilien Adage.